Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

Non classé

PERIL EN LA DEMEURE : NOUVEAU RENFORCEMENT DES MESURES PERMETTANT DE SECURISER LES VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

Commentaire du décret n° 2020-1537 du 8 décembre 2020

JO 9 décembre 2020 A LIRE ICI

 

 

Alors que le foyer familial devrait être un lieu sûr, tranquille, apaisant et réconfortant, pour de nombreuses personnes, il est le siège de violences intrafamiliales. Des drames se déroulent en huis clos et il est urgent de prendre la pleine mesure de cet accroissement du nombre des faits violents, accentué encore par les mesures de confinement. Le décret n° 2020-1537 du 8 décembre 2020 (JO du 9 décembre 2020) apporte une nouvelle touche à l’édifice législatif en organisant la création d’un comité de pilotage de suivi du relogement des victimes.

Mots-clefs : Violences conjugales – protection des victimes – ordonnance de protection – éviction du logement familial – attribution du logement commun – relogement des victimes – sous-location – accompagnement financier des victimes relogées – dispositifs expérimentaux – comité de pilotage de suivi du relogement.

Après le Grenelle contre les violences conjugales, plusieurs pistes avaient été explorées dans la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 pour agir contre les violences au sein de la famille et sécuriser les victimes en leur offrant un toit qui les mette à l’abri (Ph. Bonfils, Renforcement de la lutte contre les violences au sein de la famille, Dr. famille 2020, étude 10 ; I. Corpart, Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements de la lutte contre les violences conjugales, commentaire de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences faites en famille, Lexbase, éd. priv., n° 809, 2020, Numéro Lexbase : N1877BY8 et Lutter contre les violences conjugales, encore et toujours, JAC n° 193, janvier 2020 ; A. Darsonville, V. Delnaud, P. Prache, E. Morain et F. Lauféron, Qu’attendre de la loi du 28 décembre visant à agir contre les violences au sein de la famille ? ,  AJ pénal 2020, p. 59.).

Précisément l’article 15 de la loi avait lancé deux expérimentations (sur une durée de trois ans à compter du 28 juin 2020) visant, l’une et l’autre, la protection du logement des victimes. Pour analyser les données relatives au déploiement de ces dispositifs expérimentaux, la loi annonçait la mise en place d’un comité de pilotage de suivi du relogement des victimes, enfin mis en place avec le décret n° 2020-1537 du 9 décembre 2020.

I – Les apports de la loi du 28 décembre 2019 en matière de logement

Cette loi contient de nombreuses avancées pour assurer la protection des victimes en général mais tout particulièrement de leur toit, leur logement ayant été au cœur des réflexions menées dans le cadre de la lutte contre les violences conjugales (P. Battistini, Protection des victimes de violences conjugales, LPA 24 sept. 2020, n° 151×0, p. 17).

Pour sécuriser le logement des conjoints, concubins et partenaires et des enfants des couples, la loi a d’abord ouvert des possibilités nouvelles aux personnes bénéficiant de l’ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales depuis la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 (I. Corpart, Intensification de la lutte contre les violences conjugales, Dr. famille 2010, étude 27 et Retour sur la protection des victimes de violences conjugales, JAC n° 107, oct. 2010). Cette mesure de protection vient au secours des personnes en danger sous leur toit (C. civ., art. 515-9). Elle n’est pas conditionnée par l’existence d’une plainte pénale préalable (C. civ., art. 515-10) et constitue, à ce titre, un outil très sécurisant (G. Kessler, La déconnexion de la situation de danger et du caractère vraisemblable des violences alléguées dans le cadre de l’ordonnance de protection, Dr famille 2017, étude 7 ; A. Sannier, Obtenir une ordonnance de protection des victimes de violences conjugales : Dr. famille 2019, prat. 5).

L’accent est mis sur la victime qui, si elle en exprime le désir, a la possibilité de rester chez elle et d’obliger l’auteur des violences à quitter les lieux. Elle peut, en effet, demander que la jouissance du logement lui soit accordée, les frais afférents pouvant être mis la charge de l’auteur des violences.

Selon le cas, le juge aux affaires familiales doit ainsi statuer sur la résidence séparée des époux et se prononcer sur le logement commun des concubins ou partenaires (C. civ., art. 515-11, 3° et 4°). Au départ, la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 avait créé le référé-violence mais elle l’avait inséré dans l’article 220-1 du Code civil si bien qu’il était réservé aux couples mariés. Il a été remplacé ensuite par l’ordonnance de protection grâce à la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 qui l’a déplacé dans les articles 515-9 et suivants dans le but de viser l’ensemble des couples afin de tenir compte de toutes formes de violence.

L’essentiel est de permettre aux personnes de se reconstruire et de plus avoir peur d’une cohabitation dangereuse, voire meurtrière (I. Corpart, Assurer un toit aux victimes de violences conjugales, premier jalon d’une protection efficace et pérenne, JAC n° 167, mai 2017). Il fallait aussi pouvoir aussi offrir rapidement un toit aux personnes qui se sont enfuies du foyer.

C’est la raison pour laquelle, en 2019, le législateur a fait le choix de permettre aux organismes d’habitations à loyer modéré de louer des logements à des organismes déclarés dont la mission va être de les sous-louer à titre temporaire (CCH, art. L. 311-19) aux victimes bénéficiant de l’ordonnance de protection.

Grâce à ce dispositif de sous-location et, à titre expérimental, les bailleurs sociaux peuvent louer des logements meublés ou non à des organismes déclarés (associations déclarées en préfecture). Ces derniers vont ainsi pouvoir venir au secours des personnes victimes de violences, en leur offrant un toit sécurisé.

On s’en doute, face aux drames, il est indispensable de pouvoir agir au plus vite pour pouvoir offrir un pied à terre aux victimes au moment même où elles quittent le logement conjugal. Cette mesure s’inscrit bien dans le Grenelle des violences conjugales qui a lancé, en septembre 2019, la création de 1 000 places d’hébergement supplémentaires pour accueillir les victimes et leurs enfants.

Suivant une autre piste, mais toujours pour faciliter le relogement des victimes de violences conjugales visées par une ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales, la loi de 2019 a ensuite mis en place l’accompagnement du dépôt de garantie que doit payer le locataire et posé des garanties locatives à propos des premiers mois de loyer afin de faciliter le relogement des victimes de violences bénéficiant de ladite ordonnance.

Il est ainsi prévu d’offrir au sous-locataire différentes aides au logement (accompagnement mis en œuvre à la demande de la victime), sachant qu’elles sont offertes même aux victimes qui ont choisi de ne plus jouir du logement qui les abritait jusque-là car il est devenu trop dangereux.

En conséquence, si la victime préfère déménager pour échapper à l’auteur des violences, elle peut bénéficier d’une aide financière pour son relogement.

Cette protection spécifique ne figurait pas dans la proposition de loi déposée par Aurélien Pradié, mais elle a été ajoutée à la faveur d’un amendement présenté par le gouvernement. Pour la garde des Sceaux, Nicolle Belloubet, il convenait « d’expérimenter un dispositif pour faciliter l’accès au logement des personnes victimes de violences conjugales, en permettant un accès rapide à des logements dans le parc social, et les accompagner. En effet, dans le parcours de sortie de violences conjugales, il est nécessaire de proposer rapidement une solution de logement à la victime ».

Ces expérimentations sont entrées en vigueur le 28 juin 2020, avant même que tous les détails soient précisés. Elles sont mieux encadrées depuis la publication du décret n° 2020-1537 du 8 décembre 2020.

II – La mise en place du comité de pilotage annoncé dans la loi du 28 décembre 2019 pour favoriser le relogement des victimes

Les dispositifs expérimentaux programmés pour les trois années à venir sont désormais totalement opérationnels, le décret tant attendu du 8 décembre ayant créé le comité de pilotage de suivi du relogement des victimes. Ce texte en précise la composition, les missions et les modalités de fonctionnement afin que l’on puisse suivre le déroulement des expérimentations en la matière.

Ce comité de suivi réunit deux députés et deux sénateurs, respectivement désignés par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat (art. 15 de la loi du 28 décembre 2019), ainsi que des représentants de l’État : dans le décret du 8 décembre, on relève qu’il s’agit du directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages ou son représentant ; du directeur général de la cohésion sociale ou son représentant et du directeur des affaires civiles et du sceau ou son représentant (art. 1er).

Le comité est présidé par un parlementaire ; sur ce point le décret précise qu’il doit être désigné parmi ses membres ayant la qualité de parlementaires, par arrêté du ministre chargé du logement.

Placé auprès du ministre chargé du logement, il a pour mission d’analyser les informations et les données relatives au relogement des victimes et de leur famille (art. 2 du décret). Il lui incombe également de veiller à la coordination des mesures mises en place pour accompagner les victimes.

Au vu de ces résultats, il pourra formuler des recommandations afin de faciliter la mise en place de ce nouveau dispositif de lutte contre les violences conjugales.

Il doit se réunir au moins une fois par an, pouvant inviter à participer aux débats toute personne extérieure qui pourrait apporter des éclairages utiles (art. 3 du décret).

Il est important de bien faire connaître les ordonnances de protection qui interdisent à un conjoint violent de franchir le seuil du logement dans lequel vit une victime de violences conjugales (son conjoint, son concubin ou son partenaire mais aussi un ex-conjoint, un ex-concubin ou un ex-partenaire). En effet, cet outil de protection mérite d’être mieux connu et surtout davantage utilisé. Dans ce but, un comité de pilotage de l’ordonnance de protection a été installé en juin dernier par la garde des Sceaux (M. Douchy-Oudot, L’installation du Comité national de pilotage de l’ordonnance de protection : une meilleure vigilance pour une protection plus efficace ?, Procédures n° 8-9, août 2020, alerte 10).

Pour autant ce dispositif ne semblait pas suffisant car certaines victimes n’aspiraient pas à continuer à vivre dans un environnement dangereux car connu de l’auteur des violences.

À présent avec ce nouveau comité de pilotage encadré par le décret du 8 décembre 2020, il s’agit cette fois d’aider les victimes à se reloger et à quitter définitivement leur foyer, la question étant tendue en particulier en période de confinement.

L’interdiction d’entrer en contact avec la victime peut en effet se traduire, soit par l’éviction du conjoint violent, soit par l’installation de la victime dans des lieux sécurisés.

La sécurisation des victimes a également été améliorée avec le développement du téléphone « grave-danger (son processus de mise en place ayant été accéléré par la loi du 28 décembre 2019) et par le bracelet anti-rapprochement (D. n° 2020-1161, 23 sept. 2020), outils permettant aussi d’éviter de nouvelles violences et ainsi promouvoir une protection optimale des membres de la famille.

L’aide au relogement peut précisément conduire à aider la victime à quitter les lieux du drame et, en quelque sorte en disparaissant dans la nature, lui permettre d’éviter de nouveaux rapprochements avec l’auteur de violences.

Le fait que le couple ait des enfants n’est pas problématique en soi car le juge aux affaires familiales peut aussi priver l’auteur des violences, soit de l’exercice de l’autorité parentale, soit d’un droit de visite et d’hébergement (I. Corpart, Après le Grenelle des violences conjugales, suppression de la coparentalité ?, Grenelle des violences conjugales du 3 septembre au 25 novembre 2019, RJPF 2019-12/22 ; Retombées pour les enfants de la nouvelle réforme relative aux violences conjugales, commentaire de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, JO 31 juill., RJPF 2020-10/22 ; Dossier AJ famille 2020, p. 383 ; C. Duparc, Une nouvelle loi visant à protéger (entre autres) les victimes de violences conjugales, JCP G 2020, p. 1623 : M. Farge, Protection des victimes de violences conjugales, JCP G 2020. 1189 ; A. Gouttenoire, La loi du 30 juillet 2020 : un nouveau pas dans la protection civile de toutes les victimes de violences conjugales, n° Lexbase L7970LXH).

Sur toutes ces questions, il est prévu qu’un rapport soit remis au Parlement, au plus tard le 22 décembre 2020. Il sera ainsi possible de faire le bilan du dispositif pour vérifier sa pertinence et l’affiner si besoin. Il trouvera ainsi bien sa place parmi toutes les mesures mises en place depuis des années pour combattre les violences au sein de la famille (A. Sannier, Bilan des principaux outils juridiques de lutte contre les violences conjugales : AJ famille 2020, p. 338 ; M. Lamarche, L’enfer familial des violences conjugales pavé de bonnes intentions du législateur, Dr. famille oct. 2020, p. 3).

Donnez-nous aujourd’hui notre toit quotidien !

Face à l’enfer des violences conjugales, tout doit être mis en œuvre pour apporter un soutien efficace aux victimes et en particulier pour leur offrir un foyer sécurisé ou un nouveau foyer, s’il agit, d’un côté, de leur assurer de pouvoir vivre tranquilles dans leur logement ou, d’un autre côté de leur proposer un relogement.

Il ne faut pas hésiter à se séparer d’un conjoint, concubin, partenaire ou parent violent (I. Corpart, Quand le risque familial l’emporte sur le maintien des relations au sein de la famille, JAC n° 200, oct. 2020), mais encore faut-il savoir où l’on peut s’installer.

En période de confinement, il est encore plus primordial de veiller à ne pas enfermer les victimes dans un huis clos avec leurs agresseurs, situation propice à une recrudescence des violences au sein de la famille (I. Corpart, Covid-19 : un risque accru pour les membres de la famille ?, Riséo 2020, n° spéc., p. 6). En la matière, une précision utile doit être apportée, les personnes devant quitter leur domicile pour se protéger de violences sont exemptées de toute obligation de se munir d’une attestation.

On notera enfin que le rapport de la commission des lois constitutionnelles de l’Assemblée nationale sur la mise en application de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille (AN, Rapport n° 3431, 14 oct. 2020) a été mis en ligne le 2 novembre. À l’issue des travaux, les rapporteurs ont considéré que la réforme de 2019 a été mise en œuvre de façon satisfaisante.

Pour autant, la protection des victimes reste à améliorer et la lutte contre les violences intrafamiliales est toujours en chantier. Tous les moyens sont bons pour affiner le dispositif.