Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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QUEL SORT POUR LES FRAGMENTS HUMAINS RELEVES SUR LE SOL APRES UNE CATASTOPHE, UN ACCIDENT OU UN ATTENTAT ?, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

Commentaire de la proposition de loi n° 27, déposée au Sénat le 8 octobre 2019 par Jean-Pierre Sueur

 

Les textes du Code civil prévoyant le respect dû au corps humain après la mort, respect à tous les restes humains, y compris des petits fragments (C. civ., art. 16-1-1) s’accordent mal avec des dispositions du Code de procédure pénale applicables lorsque les équipes de secours mettent sous scellés des restes humains après des catastrophes aériennes ou naturelles, des accidents collectifs ou des attentats.

Le sénateur Jean-Pierre Sueur vient de se saisir du problème et a fait enregistrer au Sénat le 8 octobre 2019 une proposition relative à l’identification et à la destination des fragments humains découverts à la suite d’une catastrophe ou d’un attentat (proposition n° 27).

Il aimerait que l’article 230-30 du Code de procédure pénale soit complété par un alinéa dédié aux très petits fragments humains qui n’en sont pas moins des restes de la personne décédée.

Ce texte vise les autopsies judiciaires qui peuvent être ordonnées lors d’une enquête judiciaire (C. pr. pén., art. 60, 74 et 77-1) ou lors d’une information judiciaire (C. pr. pén., art. 156 et s.).

Réalisées par des praticiens diplômés en médecine légale ou justifiant d’une expérience en médecine légale, elles peuvent conduire à procéder à des prélèvements biologiques nécessaires aux besoins de l’enquête ou à l’identification des personnes, les familles ou les proches (conjoint, concubin ou partenaire, ascendants et descendants en ligne directe) étant informés dans les meilleurs délais à la fois de la programmation d’une autopsie et des décisions d’opérer des prélèvements biologiques.

Selon le sénateur Jean-Pierre Sueur, il faudrait encore que soit programmée la restitution aux proches de tous les éléments récoltés par les équipes de secours et de sécurité lors d’une catastrophe, d’un accident ou d’un attentat.

Une fois les investigations terminées, ces éléments non analysés par les praticiens de médecine légale devraient en effet être restitués aux familles et aux proches en vue d’une inhumation ou d’une crémation (article unique de la proposition de la loi n° 27 : « Elle peut également autoriser la restitution des autres éléments non analysés en vue d’une inhumation ou d’une crémation »).

Précisément, le respect dû au corps humain même après la mort est inscrit dans l’article 16-1-1 du Code civil issu de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 (Isabelle Corpart, Pour un nouvel ordre public funéraire : variations autour de la loi du 19 décembre 2008 sur la législation funéraire, Dr. fam. 2009, étude 15, p. 8).

Tous les restes des personnes décédées doivent être traités avec traités avec « respect, dignité et décence » (C. civ., art. 16-1-1, al. 2).

Dès lors, le sort des restes humains relevés au sol après un terrible évènement interpelle.

Les fragments les plus importants et les plus significatifs « nécessaires aux besoins de l’enquête ou de l’information judiciaire » selon les termes de l’article 230-28 du Code de procédure pénale, sont placés sous scellés.

Ils sont ensuite analysés en vue de leur identification afin de pouvoir ensuite être restitués aux familles endeuillées.

En revanche, pour l’heure, les fragments de très petite taille, relevés également sur la scène de la catastrophe, de l’accident ou de l’attentat ne font l’objet d’aucune attention.

Ils ne servent pas à identifier les défunts dès lors que les fragments plus conséquents ont pu être déterminants et leur devenir n’est pas assuré dans le respect dû à tous les éléments du corps humain après la mort.

Ils sont simplement détruits comme des « simples » déchets biologiques alors que, s’agissant des restes des défunts ayant servi à identifier les victimes, le magistrat peut ordonner leur restitution aux familles afin qu’elles puissent procéder à une inhumation ou à une crémation à leur convenance, sous réserve de veiller aux exigences de santé publique.

Il est donc demandé une nouvelle rédaction de l’article 230-30 du Code de procédure pénale afin que tous les restes soient remis aux familles à la fin de l’enquête, y compris les très petits fragments ramassés sur la scène du drame et qu’ils soient tous traités avec respect, dignité et décence.

Les proches peuvent en effet souhaiter rassembler tous les éléments corporels de leur défunt dans un cimetière pour les inhumer ou dans un crématorium pour les incinérer, les conserver dans l’urne funéraire ou les disperser tous dans la nature.

Il est insupportable que des fragments soient traités comme des déchets, incinérés sans considération pour la personne décédée et sa famille endeuillée.

Après la mort, le corps sans vie n’est certes plus une personne car il est mis fin alors à la personnalité juridique aussi s’agit-il effectivement d’une chose. Néanmoins le cadavre est considéré comme une chose sacrée qui doit être traitée avec un grand respect, y compris lors des autopsies ou des enquêtes judiciaires.

Il revient aux seules familles de décider du sort du cadavre de leur parent, aussi au nom du respect de l’ordre public et de la paix des familles, la proposition de loi relative à l’identification et à la destination des fragments humains découverts à la suite d’une catastrophe ou d’un attentat mérite amplement d’être examinée par le Parlement pour que la modification législative réclamée soit entendue.