Julie Mattiussi
Maîtresse de conférences, Université de Haute-Alsace,
Membre du CERDACC
Victim recovery : a road of many routes
Le colloque annuel de Victim Support Europe (VSE) était dédié aux voies plurielles pour se reconstruire après un traumatisme. Le colloque a eu lieu les 12 et 13 juin 2019 au Parlement Européen. Le public était principalement composé de membres d’associations d’aide aux victimes de nombreux États (Canada, France, Bulgarie, Italie, Portugal, Royaume-Uni…), mais également de professionnels du droit et d’universitaires. La quasi-intégralité des conférences ou ateliers pouvait être suivie en français et en anglais.
JOUR 1
Après quelques propos de bienvenue de Joao Lazaro, Président de VSE, et de Maryse Le Men Régnier, Présidente de l’association France Victimes, plusieurs intervenants ont pris la parole.
Romain Ruiz, ancien sportif de haut niveau, victime de l’attaque terroriste du 13 novembre 2015, a livré son témoignage. Il a raconté ses difficultés du quotidien, en particulier les obstacles à trouver un emploi. Il a souligné l’importance pour lui des reconnaissances symboliques de son état de victime du terrorisme par l’État, telle que la lettre que le Président de la République Française, E. Macron, lui a fait parvenir à l’occasion de son mariage ou ses rencontres avec des élus.
Joëlle Milquet, de la Direction générale de la justice et des consommateurs, Commission européenne, a plaidé pour un changement de vocabulaire de « l’indemnisation » vers la « réparation » et pour une plus grande implication des États dans la poursuite des procédures de réparation, en particulier lorsque le dommage a eu lieu à l’étranger.
Chantal Cutajar, adjointe au Maire de Strasbourg, a pris la parole pour rappeler les traumatismes récemment causés par l’attentat de décembre 2018 à Strasbourg. Elle a exposé les bénéfices de l’anticipation, une politique publique d’aide aux victimes ayant été conçue préventivement pour faire face à l’éventualité d’un attentat.
Katarzyna Janicki-Pawlowska, de la direction générale de la justice et des consommateurs, Commission européenne, a évoqué l’opportunité que constitue la période de transition ouverte par les élections européennes pour placer la question des victimes au centre de l’attention de la commission. Elle a rappelé que la directive 2012/29/UE établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité, 7 ans après son adoption et 4 ans après l’expiration du délai de transformation, n’est toujours pas uniformément appliquée par les États et l’a regretté.
Nicole Belloubet, Ministre de la Justice (France), a mis en avant le renouvellement des politiques publiques d’aide aux victimes, notamment au niveau local avec les comités locaux d’aide aux victimes. Elle a souligné l’intérêt de la loi du 23 mars 2019 relative à la réforme de la Justice qui, en créant un agrément pour les associations d’aide aux victimes, participe d’une reconnaissance du rôle de ces associations. Les décrets d’application de cette loi sont en cours d’élaboration.
La conférencière d’honneur, Catherine Rossi, Professeure de criminologie à l’Université de Laval, Québec, a ensuite pris la parole pour rappeler que si les victimes de crimes médiatique font l’objet d’une attention particulière de la part de la communauté scientifique, il convient de ne pas oublier celles qu’elle a appelées les « victimes du silence », celles qui se cachent, subissent, et refusent de dénoncer. À cette occasion, elle indique que les dénonciations intrafamiliales sont en baisse en Amérique du Nord. Elle nuance toutefois en disant que nombre de ces victimes en ont déjà parlé à quelqu’un et souligne la distinction entre dévoiler et dénoncer. Elle voit là une limite incompressible à laquelle se heurtent les associations d’aide aux victimes, certaines personnes, même bien informées, se montrant réticentes à agir en justice en raison de ce qu’elles peuvent percevoir comme de la publicité.
Table ronde I : Comment repenser l’intégration de la victime dans les systèmes judiciaires ?
Tom O’Malley, avocat (Irlande), « Les audiences pour violences sexuelles et violences conjugales : une évolution à envisager ? ».
L’intervention portait sur le rôle des jurys dans les affaires criminelles en droit irlandais. Le jury y est perçu comme un gage d’équité. Le système pourrait néanmoins être amélioré, en utilisant des intermédiaires extérieurs entre les témoins et le jury, ou encore en sensibilisant les avocats, juges et membres du jury au risque de reproduction de stéréotypes.
Elisabeth Pelsez, déléguée interministérielle à l’aide aux victimes (France), « Comment améliorer la coopération judiciaire pour permettre aux victimes d’assister à une audience à l’étranger ? ».
L’intervenante ciblait le problème particulier des français et françaises victimes à l’étranger. Il est parfois difficile pour ces victimes de pouvoir assister au procès ou de comprendre les règles et la procédure du pays étranger. Une coopération judiciaire est nécessaire pour permettre à ces victimes de suivre la procédure en restant en France, ou de se déplacer pour y assister si elles le souhaitent. Elle donne l’exemple de ce qui a été fait avec succès dans le cadre de l’affaire du Bardo en Tunisie : les victimes se sont vues offrir le choix de suivre l’audience tunisienne en visioconférences à partir de la Cour d’appel de Paris ou d’aller suivre les débats en Tunisie.
Frédéric Almendros, procureur de la République (France) et Ellen O’Neill, Courthouse Dogs Fondation (USA), « Réduire la victimisation secondaire pendant le procès ».
Ces deux intervenants ont présenté la façon dont, d’abord aux États-Unis, puis en France, s’est développée la pratique des chiens d’accompagnement pour les victimes, en particulier pour les enfants victimes. Le chien apaise la souffrance et créé une diversion positive qui permet de lutter contre la « re » victimisation par la procédure pénale (ou « victimisation secondaire »).
Atelier 1, la dénonciation de l’inceste, Diane Salomon (atelier suivi par J. Mattiussi)
L’atelier consistait en une présentation de vignettes cliniques interrogeant les problématiques psychologiques de la dénonciation de l’inceste par la victime.
Table ronde II : Quelles sont les différentes voies pour venir en aide aux victimes ?
Levent Altan, directeur général de VSE, « Qu’entendons-nous par système national d’aide aux victimes ? ».
L’intervention portait sur l’opportunité d’un maillage entre institutions publiques et organismes privés pour une prise en charge efficiente des victimes.
Stéphanie Tomé, experte psychologique SDIS 68, Fédération Nationale des Sapeurs-Pompiers de France, « Secouristes : intégrer la dimension de soutien aux victimes dans ces professions »
La présentation visait à promouvoir l’intégration de la dimension de soutien aux victimes dans les professions de secouristes, en particulier chez les sapeurs-pompiers.
Mafalda Valério, Cheffe de projet, APAV (Portugal), « L’aide à distance : illustration par les plateformes téléphoniques d’aide aux victimes ».
Il s’agissait d’une présentation des plateforme téléphoniques et en ligne à destination d’un public de victimes ne bénéficiant pas des moyens matériels (financiers ou logistiques) de se déplacer. L’intervenante soulignait que ces outils constituent également une aide précieuse pour aider les victimes sensibles à la problématique de l’anonymat.
Atelier 2, Sexual violence against children, APAV (atelier suivi par J. Mattiussi)
L’atelier consistait en une présentation de bout en bout du système de soutien offert par l’APAV, association d’aide aux victimes au Portugal, en parallèle de la procédure judiciaire. Ce rôle est délégué à l’APAV par l’État. L’association est donc à la fois au service des autorités, des victimes et des proches de victimes.
La journée a été conclue par un discours de Richard Olszewski, Vice-Président de VSE et de France Victime.
JOUR 2
Introduction
Albin Dearing, Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne
Table ronde III : Quels chemins vers la reconstruction ?
Bruno Brito, Psychologue, Manager of RAFAVHVT, APAV (Portugal), « Quel soutien psychologique pour quelle victime : évaluer les besoins pour proposer un accompagnement spécifique ? ».
Il s’agissait de mettre en avant l’importance de l’individualisation du soutien apporté aux victimes.
Thierry Baubet, Centre National de Ressources et de Résilience (France), « Comment trouver un professionnel de l’aide psychologique adapté : développer un réseau d’experts ? ».
La présentation visait à mettre en avant l’intérêt de la création d’un réseau pluridisciplinaire d’experts autour des victimes, afin que les acteurs rencontrés (médecins, psychologues…) constituent de véritables soutiens pour les victimes.
Heloïse Squelbut, Coordinatrice de l’antenne Nord-Est de l’Institut Français pour la Justice Restaurative, « Renforcer la reconstruction des victimes via la justice restaurative : mettre l’accent sur un soutien complémentaire ».
Les avancées de la justice restaurative en France depuis 5 ans sont majeures. Elle existe sous plusieurs formes. Il peut s’agir, par exemple, de rencontres organisées entre un auteur d’infraction et la victime, ou entre un groupe d’auteurs d’infraction et un groupe de victimes d’infractions similaires qui ne se connaissent pas, avec présence d’un médiateur ou d’une médiatrice ainsi que de tiers indépendants. En France, sa particularité est de n’être placée sous l’égide d’aucun acteur autonome. La justice restaurative résulte ainsi d’un partenariat entre l’administration pénitentiaire et les associations d’aide aux victimes telles que France victime. Ce schéma explique le temps long de déploiement de la justice restaurative car il oblige à accorder des intérêts distincts (lutte contre la récidive pour l’administration pénitentiaire, soutien aux victimes pour les associations).
Ruth Shrimpling, chargée de mission (VSE), « Faire évoluer les systèmes d’indemnisation des victime ».
L’intervenante s’est prêtée à l’exercice de penser le système d’indemnisation « idéal ». Les améliorations proposées aux systèmes actuels ne portaient pas tant que les procédures à proprement parler que sur les conditions d’actions. En particulier, Madame Shrimpling plaidait pour plus d’information sur tous les aspects du parcours d’une victime (médicaux, judiciaires, psychologiques, financiers) dès la réalisation du dommage, et pour une plus grande prise en considération des pluralités de victimes. Ainsi, il faudrait, selon elle, multiplier les voies pour déposer plainte, pour qu’il ne soit pas toujours nécessaire à la victime de se déplacer au commissariat de police.
Atelier 3, Les nouveaux outils de l’aide aux victimes : la socioesthétique et le projet Gépalemojust, AVEMA France Victimes 01 et France Victimes 37
Il s’agissait, d’une part, d’une présentation de nouveaux outils comme la socioesthétique, visant à proposer aux personnes victimes des massages et moyens de se sentir mieux dans leur corps.
D’autre part, la présentation concernait le projet Gépalemojust, visant à multiplier les supports d’informations en langues étrangères pour prendre en considération la situation particulière des victimes qui, dans une langue étrangère et venant parfois d’un système juridique différent de celui de l’endroit où elles ont subi le dommage peuvent éprouver des difficultés à comprendre les modalités de la prise en compte de leur situation. Par exemple, dans certains États, le simple constat par la police d’un dommage constitue dépôt de plainte. En France, il revient à la victime de déposer plainte activement. Si la victime n’a pas compris cela, après la venue de la police à son domicile, elle peut se retrouver en situation d’attendre les suites d’une procédure qui, en réalité, n’a jamais démarré puisqu’aucune plainte n’a été déposée.
Atelier 4, Improvement of offender compensation to victims within criminal proceeding, Victim Support Netherlands and European Network on Victim’s Rights (atelier suivi par J. Mattiussi)
L’atelier visait à interroger le groupe de participants sur les défauts et améliorations possibles des systèmes d’indemnisation des victimes à travers l’Europe. Le débat s’est rapidement polarisé sur un problème récurrent dans tous les États représentés dans le groupe (Grèce, Portugal, France, Royaume-Uni, Pays-Bas) : l’insolvabilité du débiteur. Des solutions comme les pénalités de retard dans les paiements ont été explorées, mais il est rapidement apparu que si elles peuvent être utiles pour le cas de responsables qui ne souhaitent pas payer, elles n’ont pas d’effet sur les responsables qui ne peuvent pas payer. Le rôle des fonds de garanti a alors été largement débattu. Il en est ressorti que les victimes et membres d’association majoritairement présents à cet atelier étaient très partagés sur l’intervention de l’État pour prendre en charge l’indemnisation des victimes. Certains estimaient que l’intervention de l’État devrait être systématisée pour une indemnisation rapide et efficace correspondant au rôle de l’État de supporter la charge du risque d’insolvabilité des membres de la société. Une participante a d’ailleurs précisé que, pour la victime qui se heurte à l’insolvabilité du responsable, il est particulièrement difficile de voir que les responsables qui, eux, agiraient contre l’État pour dénoncer, par exemple, une violation des droits de la défense ou leurs conditions de détentions, se verraient paradoxalement mieux indemnisés que les victimes qu’ils ou elles ont lésé. D’autres participants trouvaient qu’il était important pour la victime d’être directement indemnisée par l’auteur du dommage. Dans cette dernière hypothèse, il est apparu que les victimes pouvaient avoir un douloureux sentiment d’impunité du responsable si elles étaient indemnisées par l’État.
Table ronde 4 : Atteindre une aide aux victimes de qualité
Jérôme Bertin, directeur général Fédération France Victime (France), et Levent Altan, directeur général, VSE, « Comment développer des services de qualité » ?
Alain Boulay, APEV, Association d’Aide aux Parents d’Enfants Victimes, Pierre-Étienne Denis, FENVAC, Fédération nationale des victimes d’accidents collectifs et Guillaume Denoix de Saint-Marc, AFVT, Association française des victimes de terrorisme
Selon un procédé nouveau, cette dernière conférence plénière a pris la forme de sondages successifs de la salle via une application permettant au public d’interagir avec les intervenants avec un smartphone, une tablette ou un ordinateur. Généraux au départ, avec des questions relatives aux qualités essentielles d’un bon système d’aide aux victimes, les points abordés ont ensuite porté davantage sur les pratiques des professionnels de l’aide aux victimes.
Ces débats ont été rapidement résumés dans le cadre des discours de clôture, prononcés par Joao Lazaro, Président de VSE, et par Maryse Le Men Régnier, Présidente de France victime.