Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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DU NOUVEAU CONCERNANT LA LUTTE CONTRE LA DÉFORESTATION IMPORTÉE, S. Calme

Sandie CALME

Avocate au barreau de Paris

 

La lutte contre la déforestation importée fait l’objet d’une stratégie nationale 2022-2026 particulièrement ambitieuse qui consacre une vision globale de la protection de l’environnement. En effet, le Code de l’environnement ne protège pas uniquement le « patrimoine commun de la Nation » mais il étend sa protection à l’environnement pris dans sa conception globale, au regard des réalités techniques, l’environnement n’ayant pas de frontières terrestres. Cette protection des forêts est l’objet d’une attention de la communauté internationale, consciente de la globalité des problématiques relatives aux menaces à l’intégrité des écosystèmes. En la matière, la déclaration de New York sur les forêts du 23 septembre 2014 ou le partenariat des déclarations d’Amsterdam de 2015 sont des exemples de la prise de conscience entre plusieurs Etats de la légitimité de la protection internationale des forêts.

La protection globale de l’environnement est un souci qui a mobilisé les législateurs de longue date, y compris, par exemple, à l’échelle de l’Union européenne, et cette mobilisation est appelée à s’étendre au regard du dynamisme des normes environnementales. Dans ce domaine, le droit français de l’environnement innove avec une stratégie de lutte contre la déforestation importée qui est expressément appelée à se développer sur le long terme et qui est d’actualité. Chacun est appelé à apporter sa pierre à l’édifice, y compris les entreprises et les acheteurs publics.

I- Présentation générale : la stratégie de lutte contre la déforestation importée

La lutte contre la déforestation importée relève d’une stratégie nationale de protection de l’environnement.

Ainsi, la Charte de l’environnement de 2005, qui a valeur constitutionnelle, confère officiellement à la protection de l’environnement une certaine primauté en droit français. Elle envisage cette protection comme une protection de « l’humanité » et comme un intérêt fondamental de la Nation, dans une logique de développement durable, partant du constat que « la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles ». Elle prône un équilibre de droits et de devoirs quant à la préservation de l’environnement, un principe de précaution, une implication des politiques publiques, de la recherche et de l’innovation. La Charte étant appelée à inspirer « l’action européenne et internationale de la France », sa portée va au-delà du cadre national.

Cet état d’esprit innerve également la lutte contre la déforestation importée, qui fait spécialement l’objet de la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 (loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets), ayant notamment modifié le Code de l’environnement.

Ainsi, désormais, l’Etat s’engage à mettre au point une stratégie renouvelée de lutte contre la déforestation importée (article L. 110-6 du Code de l’environnement), ayant pour objectif de mettre un terme à l’importation de matières premières comme de produits transformés issus de la déforestation, de la dégradation d’écosystèmes naturels ou de forêts à l’étranger. Cette initiative passe par la mise en place d’une plateforme de lutte contre la déforestation importée qui assiste les entreprises et les acheteurs publics dans l’organisation de leurs chaînes d’approvisionnement, en faveur de produits durables, traçables, respectueux des forêts tropicales et écosystèmes naturels autant que des communautés locales et populations autochtones qui en vivent. Dans le cadre d’une stratégie quinquennale à compter de la période 2022-2026, l’Etat s’engage à ne plus acheter de produits issus de la déforestation, de la dégradation des forêts ou d’écosystèmes naturels à l’étranger (article L. 110-7 du Code de l’environnement).

Cet objectif de lutte contre la déforestation doit concerner également les entreprises. Initialement, l’élaboration d’un plan de vigilance (article L. 225-102-4 du Code de commerce) est imposée aux entreprises d’une certaine envergure, en vue de prévenir les atteintes graves aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé, à la sécurité des personnes et à l’environnement. Ce plan de vigilance couvre également les activités des sous-traitants et des fournisseurs avec lesquels ces entreprises entretiennent une relation commerciale établie. La notion de protection de l’environnement est entendue de façon extensive. C’est pourquoi la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 dispose qu’à compter du 1er janvier 2024, le plan de vigilance comportera, pour certaines entreprises produisant ou commercialisant des produits agricoles ou issus de l’exploitation des forêts, des mesures d’identification des risques et de prévention de la déforestation concernant la protection et le transport vers la France de biens et de services. Le non-respect des devoirs de vigilance est susceptible de donner lieu à une action en justice.

Le droit de l’Union européenne est également à l’œuvre en vue de lutter contre la déforestation importée.

La Commission européenne a publié, le 17 novembre 2021, un projet de règlement européen concernant la lutte contre la déforestation importée. Ce projet de règlement concerne tant le placement et la mise à disposition, sur le marché de l’Union européenne, de certains produits, que leur exportation à partir de l’Union européenne. Il s’agit de marchandises telles que le bétail, le cacao, le café, l’huile de palme, le soja et le bois et de certains produits nourris ou fabriqués à partir de certaines substances. Il s’agit tant de lutter contre la déforestation et la dégradation de forêts que de réduire la contribution de l’Union européenne aux émissions de gaz à effet de serre et de préserver la biodiversité mondiale.

De la sorte, le dispositif européen envisagé présente de nombreux points communs avec la stratégie nationale.

Un décret du 25 avril 2022 (décret n° 2022-641 du 25 avril 2022 relatif à la prise en compte du risque de déforestation importée dans les achats de l’Etat) apporte des précisions quant à la lutte contre la déforestation importée dans le domaine des marchés publics.

II- Le nouveau décret du 25 avril 2022 relatif à la prise en compte du risque de déforestation importée dans les achats de l’Etat

Afin de concrétiser les engagements de l’Etat (article L. 110-7 du Code de l’environnement) en vue de la lutte contre la déforestation importée, sur la base de la stratégie nationale, un décret était attendu. C’est chose faite avec le nouveau décret du 25 avril 2022 relatif à la prise en compte du risque de déforestation importée dans les achats de l’Etat. Ce décret incite l’Etat à montrer l’exemple.

Ce décret définit les biens concernés comme étant le bois, le soja, l’huile de palme, le cacao, le bœuf et l’hévéa ou tout produit dérivé, transformé ou fabriqué à partir de ces matières premières (article 1). En ce sens, cette liste de produits concernés se démarque de celle de la proposition de règlement européen.

Il s’agit, pour les services centraux et déconcentrés de l’Etat (article 2), d’acheter des biens inoffensifs pour les forêts, concernant les segments d’achats suivants (article 3) : les matériaux de construction et de rénovation, les combustibles, le mobilier, les véhicules y compris les équipements, les fournitures de bureau, les produits d’entretien et la restauration.

Le principe est posé de la prise en compte dans leurs achats, par les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices de l’Etat, du risque de déforestation importée, de la définition du besoin au suivi de l’exécution des marchés. Le décret indique des exemples de concrétisation de cette prise en compte, qui se présente comme étant d’ordre public.

Il est suggéré (article 4) d’estimer de façon précise le besoin à satisfaire dans un objectif de sobriété, d’engager avec les opérateurs économiques, à toutes les étapes du marché, le dialogue sur la traçabilité du produit, de recourir à des labels ou certifications ou de mettre en place un plan de progrès évalué régulièrement dans le cadre du suivi des marchés.

Ainsi, si la lutte contre la déforestation importée aspire à protéger l’environnement dans sa globalité, elle est également appelée à reconfigurer l’organisation du commerce international.