Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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EDITO : LE DROIT ET LA JUSTICE AU TEMPS DU CORONAVIRUS, LA TENTATION DE L’HYGIAPHONE, C. Lienhard

Claude Lienhard

Avocat spécialisé en droit du dommage corporel
Professeur Emérite à l’Université de Haute-Alsace
Directeur honoraire du CERDACC

 

Du grec « hugiês », qui signifie « sain », et « phônê », « la voix », l’hygiaphone a été créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

La double vitre, dotée d’une membrane acoustique, sépare physiquement deux personnes à un guichet de gare, de poste, de banque…

Ce dispositif éloigne en protégeant certes, mais c’est le contraire de la proximité et de l’humanité des relations.

Le droit du coronavirus qui innerve désormais toute la matière juridique et judiciaire est un droit d’exception par nature, il a pour objet de protéger la société et les personnes. Cependant, l’impératif de sécurité sanitaire entame aussi les libertés individuelles.

La justice est objectivement à l’arrêt quasi-total, à l’exception de la justice pénale d’urgence et des dispositifs de protection contre les violences conjugales… et encore !

Seule la justice des référés administratif et judiciaire est sollicitée dans sa fonction d’urgence pour réguler et atténuer les carences, impérities, excès et les risques (masques, détentions, couvre-feu, Amazon……).

Le numérique judiciaire est en berne tant l’institution judiciaire est encore mal équipée et mal entrainée à en faire usage et tant les articulations avec les professionnels du droit restent à parfaire et à faciliter, voire à créer.

Le monde de la justice souffre.

Les justiciables souffrent encore plus et nous devons penser en premier à eux.

Certains, à juste titre, prédisent que le monde d’après rimera avec implosions, retards incalculables ne pouvant être résorbés dans des délais raisonnables.

La profession d’avocat serait économiquement décimée.

Le monde d’après serait celui de la désolation.

En fait à ce stade rien ne permet de dire si toutes ces craintes sont, même partiellement   fondées. On peut aussi espérer sursauts, solidarités et inventivités permettant de sauvegarder, autrement,  le monde de la justice.

En pratique, les mesures de précautions et distanciations devront être drastiques mais elles devront aussi veiller à ne pas anesthésier les relations, gommer les contacts humains ou encore les codifier froidement à l’extrême.

La justice ne devra jamais devenir un guichet froid.

La tentation de l’hygiaphone judiciaire doit être écartée car conjuguée avec celle des algorithmes, des robots et une ubérisation technocratique, elle conduirait inévitablement à la disparition de la justice républicaine et donc à un affaiblissement de la démocratie.

Le défi est immense mais surmontable en termes d’implication et de moyens. Mais rien n’est négociable au niveau des valeurs et de la culture judiciaire.