Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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L’INTENSITÉ DE L’OBLIGATION CONTRACTUELLE DE SÉCURITÉ DE L’EXPLOITANT D’UN PARC D’ATTRACTIONS : ACTUALITÉ D’UNE QUESTION ANCIENNE, A. Tardif

Anthony Tardif,

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC (UR 3992)

Observations  sous Cass. 1re civ., 11 mai 2022, n°20-22.849 A LIRE ICI

Sommaire de la décision

L’exploitant d’un parc d’attractions est tenu envers son créancier d’une obligation de résultat dans la mesure où celui-ci ne disposait pas d’une liberté d’action lui permettant d’avoir un rôle actif sur le parcours aquatique emprunté.

Contenu de la décision

En l’espèce, un client d’un parc d’attractions s’est blessé lors de la descente d’une rivière à courant artificiel. Ce client et son épouse assignèrent la société exploitante, son assureur et la caisse d’assurance maladie aux fins d’obtenir une expertise médicale et le paiement d’une provision en référé. La cour d’appel de Poitiers approuva la demande d’indemnisation du client et de son épouse. Les défendeurs condamnés à indemniser formèrent alors un pourvoi en contestant la qualification d’obligation de résultat. Dans ce cadre, il était allégué que la rivière artificielle à l’origine de l’accident était ponctuée de bassins intermédiaires dans lesquels le client conservait une maîtrise de sa propre trajectoire. De plus, il était allégué que le client détenait une liberté d’initiative au cours de l’attraction. La question de l’intensité de l’obligation contractuelle de l’exploitant du parc d’attractions était ainsi posée. La réponse de l’arrêt de la première chambre civile du 11 mai 2022 (Cass. 1re civ., 11 mai 2022, n°20-22.849 ; RLDC 2022, n°206, p. 14, obs. C. Latil) se déroule en deux temps. Elle rappelle, tout d’abord, les circonstances énoncées par la cour d’appel. La Haute juridiction insiste, ensuite, sur un élément particulier : « si la conception de l’attraction laissait à l’usager une marge de manœuvre, celle-ci était réduite à la manière de prendre les virages et à la possibilité d’une pause dans les bassins intermédiaires, limitée par la présence des autres usagers, et qu’il ne pouvait agir sur la trajectoire, ni s’arrêter, de sorte qu’il n’avait pas un rôle actif sur le parcours ». Selon la Cour de cassation, de telles constatations autorisaient les juges du fond à considérer « que l’exploitant avait engagé son obligation contractuelle de sécurité et que l’obligation n’était pas sérieusement contestable ».

Commentaire de la décision

 Au-delà du critère de l’aléa de la prestation demandée et de la volonté des parties au contrat, le rôle actif du créancier – «sa liberté d’initiative » (F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, « Droit civil. Les obligations », Dalloz, Précis, 13e éd., 2022, n°853.) – constitue un critère souvent mis en avant en jurisprudence. En l’espèce, il était plutôt question du degré accordé dans ce pouvoir d’initiative. Il n’était pas ici contesté que, suivant le segment du parcours emprunté, le rôle conféré au créancier n’était pas le même. Cela rappelle immanquablement la scission qui a traversé la jurisprudence au sujet du contrat de transport « classique » : alors que la période ante-transport créait une obligation de sécurité de moyens, le transporteur est tenu d’une obligation de résultat lorsque le passager commence à monter jusqu’à sa descente (Cass. 1re civ., 1er juill. 1969, D. 1969, p.  640, note G.C.-M). L’incohérence était patente (l’application des règles de la responsabilité délictuelle étant, dans ce cas, plus favorable pour le passager) et la Cour de cassation décida de soumettre le transporteur à une obligation de sécurité uniquement pour la période couvrant la montée à la descente[1]. Cette position doit être approuvée et transposée aux transports « ludiques ». Une même obligation ne peut changer d’intensité en fonction de sa survenance au cours de l’exécution du contrat. Plus fondamentalement, nous pensons que le problème ne doit pas se situer au niveau de l’intensité de l’obligation mais bel et bien au niveau de sa nature. L’article 3 de l’avant-projet Terré suggérait ainsi d’abandonner la distinction obligation de résultat/obligation de moyens à propos de l’obligation de sécurité : la réparation du dommage corporel doit être soumise aux seules règles de la responsabilité extracontractuelle. L’article 1233 de la proposition de loi du 29 juillet 2020 constitue une forme de compromis en ce qu’il laisse à la victime d’un dommage corporel la possibilité de choisir entre les règles de la responsabilité contractuelle et les règles de la responsabilité extracontractuelle. C’est un choix déjà en germe en doctrine, certains auteurs n’hésitant pas à distinguer entre les obligations « purement contractuelles » et les obligations légales appliquées au contrat. On rajoute, au final, que la solution commentée doit être approuvée au regard du second critère des obligations de résultat, à savoir la prévision des parties. Lorsqu’il monte dans un transport ludique, le client fait une entière confiance à l’organisateur et ne peut prévoir une différence de sécurité en fonction du segment du parcours emprunté.


[1] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, « Droit civil. Les obligations », préc., n°857.