OBLIGATION DE SE SOUMETTRE A UN PROGRAMME DE MISE EN CONFORMITE : LA RSE IMPOSEE PAR LE JUGE PENAL

Madeleine LOBE LOBAS,

Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, HDR

Université de Haute-alsace

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique crée une nouvelle peine applicable aux personnes morales, l’obligation de se soumettre à un programme de mise en conformité. Le juge pénal peut, par ce biais et dans les cas prévus par la loi, imposer une démarche RSE à une entreprise.

La RSE consiste dans l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes. L’entreprise entend de ce fait tenir compte des aspects économiques, sociaux et environnementaux dans sa gestion en prenant des engagements au-delà des obligations légales. Pour la Commission européenne, la RSE ne doit pas être limitée à la seule initiative des entreprises. Les pouvoirs publics doivent la soutenir par des mesures de politiques facultatives et des dispositions complémentaires (Définition de la RSE par la Commission européenne (Communication de la Commission au Parlement européen, Conseil, Conseil économique, social et environnemental, et Comité des régions, le 25 octobre 2011, Com(2011)681, « RSE : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014 »). Mais l’Etat français ne se contente pas d’inciter les enteprises à adopter des codes de conduite. Il peut contraindre les entreprises à le faire lorsqu’elles sont condamnées à l’obligation de se soumettre à un programme de mise en conformité.

L’article 131-37 CP qui énumère les peines applicables aux personnes morales donne au juge la faculté de prononcer, dans les cas prévus par la loi, la peine prévue à l’article 131-39-2. Selon l’article 131-39-2 CP, lorsque la loi le prévoit à l’encontre d’une personne morale, un délit peut être sanctionné par l’obligation de se soumettre, sous le contrôle de l’Agence française anticorruption, pour une durée maximale de cinq ans, à un programme de mise en conformité destiné à s’assurer de l’existence et de la mise en œuvre en son sein des mesures et procédures définies par la loi. Compte tenu de l’objectif de la loi SAPIN II, cette peine est venue tout naturellement compléter la liste des peines applicables aux personnes morales en matière de corruption et de trafic d’influence commis en France ou à l’étranger. L’objectif est d’éviter la commission ou la réitération de la commission des infractions concernées.

Le programme de mise en conformité peut également être ordonné comme une obligation de la convention judiciaire d’intérêt public qui est une mesure alternative aux poursuites pouvant être proposée par le procureur de la République aux personnes dans les cas prévus par la loi (art. 44-1-2 CPP° ).

Le programme de mise en conformité se décline en plusieurs mesures et procédures devant être mises en place et notamment :

– un code de conduite intégré dans le règlement intérieur définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence ;

  • un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la personne morale ;
  • une cartographie des risques prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la personne morale à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la personne morale exerce son activité ;
  • – procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ;
  • des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence. Ces contrôles peuvent être réalisés soit par les services de contrôle comptable et financier propres à la personne morale, soit en ayant recours à un auditeur externe à l’occasion de l’accomplissement des audits de certification de comptes par le code de commerce ;
  • un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence ;
  • un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la personne morale en cas de violation du code de conduite de la personne morale.

Le programme, d’une durée maximale de 5 ans, s’effectue, aux frais de la personne morale concernée sous le contrôle de l’Agence française anticorruption, qui rend compte au procureur de la République, au moins annuellement, de la mise en œuvre de la peine (art 764-66 CPP). Elle l’informe de toute difficulté dans l’élaboration ou la mise en œuvre du programme de mise en conformité. Elle lui communique, en outre, un rapport à l’expiration du délai d’exécution de la mesure.

Le fait de ne pas mettre le programme en place ou de faire obstacle à la bonne exécution des obligations est punissable de deux ans d’emprisonnement et de 50 000 euros d’amende (art. 434-43-1 CP). Cette peine est applicable aux organes ou représentants de la personne morale. Le montant de l’amende prononcée à l’encontre des personnes peut être porté au montant de l’amende encourue au titre du délit pour lequel elles ont été condamnées et qui a donné lieu au prononcé du programme de mise en conformité. Les personnes morales encourent également l’ensemble des autres peines encourues au titre du délit pour lequel elles ont été condamnées. Les personnes physiques et les personnes morales déclarées responsables pénalement encourent également la peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision.

Lorsque le programme de mise en conformité a été exécuté pendant au moins un an, qu’il résulte des rapports transmis au procureur de la République que la personne morale condamnée a pris les mesures et procédures appropriées pour prévenir et détecter la commission de faits de corruption ou de trafic d’influence et qu’aucun suivi ne paraît plus nécessaire, le procureur de la République peut saisir le juge d’application des peines de réquisitions tendant à ce qu’il soit mis fin à la peine de façon anticipée, par jugement motivé.

 

 

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